Au printemps 1978, nous sommes quatre guides de haute montagne, tous membres de la célèbre Compagnie des guides de Chamonix, à nous rendre au Pérou pour gravir quelques sommets et vivre nos rêves et notre passion d’alpinistes. Notre petite équipe est composée de Jean-Paul Balmat, Daniel Monaci, Jean Fabre, et Herve Thivierge.
L’ascension du Taulliraju est au programme. Ce sommet qui culmine à 5830mètres d’altitude est fameux par sa beauté et sa difficulté. La face sud-Ouest, qui domine le fond de la Que Brada Santa Cruz, est particulièrement impressionnante.
Gravi pour la première fois en 1956 par une 
  équipe française conduite par Lionel Terray , « la seconde 
  » n’a été réussie que vingt ans plus tard par 
  une cordée japonaise.
  Terray écrivait à propos de cette ascension : « il avait 
  fallu plus de douze heures d’escalade effective pour surmonter deux cents 
  mètres de dénivellation ». Jamais peut-être dans l’histoire 
  de l’alpinisme, la conquête d’un sommet n’avait été 
  aussi laborieuse !
Après quelques jours d’acclimatation dans la vallée de Llanganuco, et au passage une nouvelle voie dans la face Sud du Pisco, nous tentons une traversée sur les Chacrarajus dans le sens Est-Ouest, malheureusement rendu impraticable par l’état des corniches. Nous suivons alors un itinéraire très difficile sur la face sud du sommet Est dans un environnement d’une beauté somptueuse.
Après quelques jours de marches par le col de Punta Union, nous voici donc au pied de ce magnifique TAULLIRAJU dont nous avons tant rêvé. Nous installons notre camp de base dans une vaste prairie, à moins de deux heures de marche du pied de la face.
Le 28 mai : journée de reconnaissance sur 
  le glacier cahotique, au pied de cette face Sud grandiose. Notre projet initial 
  était de gravir le majestueux éperon central, mais vues la difficulté 
  et les mauvaises conditions de neige sur le rocher, nous décidons de 
  changer notre objectif pour l’arête Est encore jamais gravie, et 
  où la difficulté semble moindre.
  Dans la partie droite de la face sud, nous repérons une possibilité 
  d’atteindre l’arête Est sans trop de difficultés. Nous 
  grimpons trois longueurs de corde d’escalade mixte très difficile 
  avec des passages de 5e degré, que nous laissons équipés 
  pour le lendemain. Ravis de notre journée nous redescendons au Camp de 
  Base.
Le 29 mai : repos. Nous passons la journée à nous reposer et à déguster cet endroit complètement magique de sauvagerie et de beauté.
Le 30 mai : départ. A 3 heures du matin, nous 
  remontons les moraines à vive allure, malgré nos énormes 
  sacs - nous prévoyons un minimum de 4 jours pour l’ascension aller 
  et retour.
  Au lever du jour, nous sommes à l’attaque et remontons les trois 
  longueurs déjà équipées deux jours auparavant. Par 
  de petits couloirs en terrain mixte nous débouchons sur l’arête 
  Est.
  La vue sur la suite de l’arête est magnifique. A notre grande surprise, 
  nous trouvons une arête de neige en excellentes conditions et moins difficile 
  que prévue sur la partie horizontale. La progression se fait beaucoup 
  plus rapide.
  A 14 heures, nous arrivons vraiment au pied des grosses difficultés, 
  le dernier ressaut qui mène au sommet. Il nous reste 4 heures de jour. 
  Les journées étant très courtes sous ces latitudes, nous 
  décidons alors d’installer le bivouac. Il nous semble plus raisonnable 
  de partir pour lancer le dernier assaut avec une journée complète 
  devant nous.
  Nous nous installons dans la rimaye et nous découvrons une énorme 
  caverne de glace ou nous pouvons nous déplacer debout sans être 
  encordés, un bivouac de rêve comme on aimerait toujours en trouver.
Nous passons le reste de l’après-midi 
  à faire fondre de la glace à l’aide de nos réchauds 
  pour avoir un maximum d’eau pour le lendemain, à nous restaurer 
  et nous reposer. 
  Depuis notre bivouac, la vue est époustouflante. Nous contemplons ce 
  paysage grandiose et nous assistons à un coucher de soleil de toute beauté 
  sur les Chararajus et le Huascaran.
Le 31 mai au lever du jour, allégé 
  de tout notre matériel de bivouac, nous attaquons les pentes supérieures, 
  dans une neige profonde, qui ne colle pas sur la glace. La progression est lente 
  et périlleuse, il faut creuser une tranchée pour progresser et 
  pour placer les broches à glace pour les relais.
  La pente se redresse encore, la neige est mois profonde mais la progression 
  est de plus en plus hasardeuse et dangereuse : il n’est plus possible 
  de s’assurer dans les longueurs, les relais sont précaires et très 
  long à installer.
  Les longueurs se succèdent et nous sentons le sommet qui se rapproche. 
  Nous progressons dans des ices-flûtes à la limite de la verticale 
  sans aucune assurance, nous laissons en place quelques relais délicats 
  pour la redescente, mais notre jeu de broches diminue à mesure que nous 
  progressons, nous arrivons à trouver des rochers où nous pouvons planter quelques 
  pitons pour nous assurer. 
  Encore quelques longueur très raide à surmonter… la sensation 
  de toucher au but nous survoltes et nous donnes des ailes, nous débouchons 
  enfin au sommet. Une forte émotion m’envahit, je pleure quelques 
  larmes.
  Nous sommes tous les quatre réunis au sommet dans une joie immense. Vingt-deux 
  ans après Lionel Terray et ses compagnons, nous venons de réaliser 
  la troisième ascension et la première en style alpin du TAULLIRAJU, 
  sommet mythique de la cordillère blanche.
  La descente se fait en rappel jusqu’à notre bivouac, les relais 
  laissés à la montée nous font gagner beaucoup de temps. 
  Nous récupérons notre matériel et continuons notre descente, 
  nous arrivons au camp de base à 23 heures, fatigués mais heureux.
Le 9 juin, une semaine après notre ascension, Nicolas Jeager réalise seul la quatrième ascension. L’itinéraire qu’il a choisi se situe plus à gauche de notre départ en face sud rejoignant la partie supérieure de l’arête Est, voie cotée ED sup. Le TAULLIRAJU nous a tous fascinés et fascinera toujours…
Nous dédions cette voie à notre ami Daniel Monaci, mort au Mont-blanc en 1981.
HERVE THIVIERGE